
Mais t’as qu’à lâcher prise…
Récemment, j’ai évoqué ici la question du perfectionnisme. Honnêtement, c’est un sujet qui me touche particulièrement, et sur lequel j’aurais beaucoup, BEAUCOUP à dire. En devenant maman, les gros dossiers que j’avais à ce sujet se sont transformés en bibliothèque à trois étages -avec la petite échelle pour monter tout en haut.
Et j’ai envie de commencer par dire quelque chose qu’on tait souvent, mais qui me frustre, voire m’énerve assez clairement. J’avais envie de parler de tous ceux qui disent aux mamans qu’elles sont trop perfectionnistes et qu’elles n’ont qu’à lâcher prise.
Ben voyons.
J’ai un petit garçon de deux ans, et j’ai repris le travail à temps plein quand il avait six mois. Depuis 18 mois, je suis donc une officielle working mum. Et il faut être sincère : à titre d’indication, j’ai déjà tapé « burn out maternel symptômes » dans la barre de recherche google entre deux et trois heures du matin. Comme beaucoup d’autres, je traverse des périodes d’un débordement dont je sous-estimais la difficulté. Depuis deux ans j’ai tour à tour l’impression d’être une guerrière, puis d’être dépassée. Je rêve régulièrement que je suis en retard, que je me noie, ou que je cours après toute chose. Et là, si je me confie à de vagues amis, des collèges, des oncles (?), on me sort souvent : « Eh, mais tu es trop perfectionniste, aussi ! » Quand j’échange avec d’autres jeunes mères, je me rends compte que je ne suis pas la seule à recevoir ces injonctions. (Encore des injonctions.) « Lâche prise ! » Et les voilà qui pensent qu’ils donnent vraiment un formidable conseil qui va nous changer la vie.
Bon.
Qu’entendent-ils par ce conseil, la plupart du temps, déjà ? Que veulent-ils suggérer en nous demandant de lâcher prise ? Quelle prise ? Cette réflexion vient le plus souvent d’hommes, célibataires, ou assez vieux pour avoir oublié ce qu’avoir un enfant petit chez soi veut dire, et qui ne comprennent pas que nous soyons stressée / débordée / épuisée /au bout du roul’. Voilà les principaux points qui reviennent dans quand on dit aux mamans d’être moins perfectionnistes.
- Lâche prise sur le ménage !
- … sur la cuisine !
- … sur l’éducation !
O U I. (Formulé ainsi, ça fait peur, n’est-ce pas ?) Alors « on » pense (« on », nous, le monde, cette société dans laquelle l’homme a tant de place) que ces trois points sont les affaires des femmes, et que, sincèrement, si elles devenaient moins perfectionnistes sur ces aspects, elles iraient mieux, et leurs hommes avec. On pense que si une maman craque, c’est qu’elle veut trop bien nettoyer sa maison, et faire des plats beaux et bons tout en dispensant toute la bienveillance de son éducation à ses enfants. Et on se dit -sans se le dire vraiment- qu’elles n’ont qu’à tolérer un peu de retard dans le linge, une pizza devant la télé et, hop, voilà, la face du monde sera changée…
Vaste hypocrisie que tout ceci, si vous voulez mon avis.

Si on détaillait, un peu, d’ailleurs ?
- Le ménage. « Tu sais, détends-toi, c’est pas grave si l’aspirateur n’est pas passé aujourd’hui ». Ah ah ah. Comment te dire (connard), mais ÉVIDEMMENT, qu’il n’est pas passé ! Je suis au niveau deux, tu comprends ? Au niveau dix. Au niveau mille. Le ménage, je m’en fous déjà. Ma marge, ce n’est pas l’aspirateur, là tout de suite maintenant.
- La cuisine. « Tu sais, c’est pas grave, tu pourrais manger des surgelés. » Là encore, j’ai le sentiment que c’est FACILE À DIRE. D’une part, parce que chez nous, ce n’est pas moi qui m’occupe de la cuisine, déjà. Et ensuite quand bien même, le problème n’est pas vraiment résolu : que la tâche concerne la mère ou le père, il faut les acheter, ces surgelés, et les ranger, et les sortir au bon moment, et les faire cuire, et nettoyer la casserole ensuite, et mettre les assiettes au lave-vaisselle, ou les laver soi-même ; d’ailleurs le lave-vaisselle, parlons-en, il faut prendre soin de le remplir, et le vider, et le nettoyer de temps en temps. Il faut bien nettoyer un tant soit peu le frigo, et la table, même sans être une maniaco-psycho-rigide, il faut bien pouvoir manger quelque part.
- L’éducation. « Nan mais avec cet enfant… tu es trop perfectionniste ». (Propos qui intervient si tu dis que tu ne le mets pas à la crèche quand tu ne travailles pas, ou que tu t’es levée toute la nuit pour lui, par exemple, ou pour signifier que t’as qu’à le mettre devant la télé de six à huit, et basta.) Là encore, mais quoi, quoi et comment ? Personne, PERSONNE ne peut savoir comment une mère ou un père s’occupe de son enfant au quotidien. Il faut être bien prétentieux pour penser savoir que l’on fait trop ceci ou trop cela, ou que soi-même, dans la même situation, on faisait mieux, ou on fera mieux, ou on aurait fait mieux. On a tous et toutes des vies tellement différentes qu’il faut arrêter de croire que l’on maîtrise suffisamment la vie des autres pour la juger.
Parce qu’au fond, il est un peu là, le problème. Il est dans le jugement. Arrêtons de dire aux mères ce qu’elles doivent faire et comment elles doivent le faire. (Pitié.) Et arrêtons de penser que celles qui frisent le burn-out en sont RESPONSABLES. Que celles qui craquent n’ont qu’à se mordre les doigts d’être trop maniaques, et que les autres, celles qui sont normales et détendues, elles, elles s’en sortent sans heurt. Mais quelle est cette comparaison qui ne fait qu’ajouter une nouvelle pression sur les épaules des mères : devoir être dans un lâcher-prise suffisamment prononcé pour que tout tourne ?
Ce qui m’énerve d’autant plus avec cette histoire de « lâche-prise », c’est qu’elle est sournoise et hypocrite. C’est un « y’a qu’à », qui se répand de plus en plus. Sauf que parallèlement, quand on est mère, on se prend de plein fouet le perfectionnisme comme injonction sociale ambiante.
Nous vivons à une époque où la maternité est difficile à conjuguer avec toutes les autres vies de femme. Je ne dis pas que c’est nouveau, je dis simplement qu’il m’a fallu le vivre pour le croire. Je réserve un autre article sur ce sujet-là, parce qu’il y a de quoi écrire. Mais le fait est là : on attend bien des mères qu’elles fassent globalement tout, et tout bien.
On nous laisse croire qu’il est non seulement possible mais courant de vivre dans une maison à peu près blanche, belle et rangée, d’aller travailler le matin et de revenir le soir, de le faire bien, tout en élevant un enfant, ou plusieurs, et de savoir tout conjuguer. Que c’est facile d’être une femme, d’avoir une vie personnelle, professionnelle, une vie de couple, et une vie de parent en même temps. La norme est là. Nombreux sont ceux qui ne l’interrogent plus. Et ce sont ces personnes-là qui disent « t’as qu’à être moins perfectionniste », pensant bien sincèrement que si nous nous mettons à moins passer l’aspirateur, nous pourrons redevenir des femmes fortes, normales et consensuelles, qui assurent sur tous les plans.
Soyons clairs : je serai la dernière à faire l’éloge du perfectionnisme.
Je ne dis pas qu’il n’y a rien à changer, au contraire, je crois qu’il y a tout à changer. Mais l’article d’aujourd’hui a pour but de démolir à la fois le présupposé tacite qui dit que le quotidien des mères est aisé et que si elles craquent c’est qu’elles en font trop, les imbéciles ; mais également l’idée selon laquelle il serait simple d’arrêter d’être perfectionniste pour une maman d’aujourd’hui. Si déjà, on en parlait autour de nous, peut-être que ce discours facile serait moins courant, et par là-même, moins destructeur, non ?

15 commentaires
Merci pour cet article ! j’ai une petite louloute qui n’a que quelques jours d’écart avec ton fils, ce que tu dis me parles bcp. Le plus blessant pour moi est d’avoir reçu ces réflexions de mes amies (toutes) célibataires ou sans enfants. Encore maintenant je me sens parfois bien seule face aux « difficultes » du quotidien sans pouvoir trouver un interlocuteur bienveillant.
Mon conjoint ne comprend pas toujours ces injonctions que je reçois de part et d’autres et qui semblent invisibles pour lui.
J’attends avec impatience la suite de tes articles !
Combien j’aurais aimé avoir 15 ans de moins et lire tes mots alors que je sombrais plus tard sans oser le dire dans les affres délicieusement douloureux de la maternité tandis que l’univers entier autour de moi criait : Quoi ? Tu n’y arrives pas ? Mais c’est que du bonheur pourtant ! Merci pour tes mots. Même s’ils arrivent 10 ans plus tard, ils resonneront sûrement encore longtemps.
C’est exactement ça, Celine ! Merci pour mettre des mots sur ce sujet quasiment « tabou » (et qui nous prouve que l’égalité hommes-femmes n’est pas encore au point, hein), au plaisir de lire la suite… bisous !
Bonjour Céline, si je comprends bien la situation il est un autre sujet qui me semble tabou aujourd’hui, c’est la question du choix. On ne peut pas tout faire!!Ou alors on fait tout en courant, sans plaisir, en risquant le brun-out qui génère d’énormes souffrances pour soi mais aussi pour tout l’entourage. Oui, l’égalité homme-femme n’est pas réalisée et du coup avant d’avoir des enfants il faut se poser 1000 questions et envisager la vie différemment, on ne peut pas vivre comme avant et « rajouter » un enfant, ou plusieurs. Ça demande énormément de temps. Mais cette réflexion dérange! Revoir ses besoins financiers à la baisse, sa carrière évolutive, on aurait l’impression de se sacrifier et on déteste cette idée! On nous fait trop croire que y’a ka! C’est un leurre! Bon courage à vous! Sophie
Bonjour Céline,
Même si ce n’est pas en rapport direct avec ton billet, j’avais envie de partager ce livre lu récemment qui m’a énormément touché et interrogé : « Maternité » de Françoise Guérin (https://www.albin-michel.fr/ouvrages/maternite-9782226400376). Pour faire un lien avec ton sujet (mais ce livre aborde beaucoup d’autres choses), on comprend très bien que les difficultés à être mère sont bien au-delà de questions de logistique !
Bonne lecture
Bonjour Céline,
Je n’ai pas pu avoir d’enfants et pourtant je me sens aussi touchée par cette injonction au lâcher-prise qui me culpabilise et me dérange. Je me sens toujours tiraillée : j’adore mon boulot (je suis enseignante en maternelle) qui me prend beaucoup de temps et d’énergie, je gère énormément de choses à la maison (comme tu le dis, même on fait un truc simple à manger, il faut le prévoir, l’acheter, … ). Bref j’enchaîne les tâches, mes neurones saturent!!!! Je me pose souvent des questions : pourquoi est-ce que ce sont les femmes qui assument tout ça? Est-ce que je ne me rends pas compte des tâches accomplies par mon compagnon? Est-ce que je veux tout contrôler? Suis-je mal organisée?Est-ce que l’éducation favorise cette différence de répartition des tâches (parce qu’il y a une sacré différence hommes-femmes)?
N’ayant pas d’enfants, je n’en parle peu car je sens le jugement des autres : je n’ai pas d’enfants donc forcément j’ai du temps pour moi, j’ai de la chance (si, si véridique on me le dit souvent). Pourtant, les mères se confient souvent à moi, je ne leur donne pas de conseils, j’écoute (ce qui me demande beaucoup d’énergie). Parfois j’ai envie de leur dire que je suis aussi une femme, sans enfants certes mais une femme aussi.
Je te remercie pour tes mots, je suis ton blog depuis longtemps sans jamais osé mettre de commentaires.
Isa
Outch… Je reste motus et bouche cousue du coup ! ^^
Ah la parentalité … aouch! Je ne sais pas ce qui me fait tenir, si ce n’est un peu mes convictions… Pas facile les nuits hachées depuis 13 mois, les déplacements, les soins du quotidien, le temps des câlins, d’être une maman, d’être une épouse, d’être une amie, de finir (si, si, si, je l’envisage quand même !) cette fichue thèse sans financement. Je ne sais pas comment tu gères avec un temps plein, chez moi mes quelques mois de temps plein ont été calamiteux, ont un peu torpillé mon couple aussi. Je pense que le pire, c’est la culpabilité… me dire (ou entendre de la bouche de mon cher et tendre à propos de ses collègues), qu’ailleurs ça semble faisable, plus facile.
En tout cas, celui qui ose me sortir le coup de l’aspirateur, je lui demande de venir le passer chez moi! Même à deux, le ménage, c’est clairement une option. On attend trop de tout le monde à la longue… Clairement, le prochain boulot ce sera un mi-temps chez moi, tant pis si on sera moins confortable financièrement mais je ne veux plus de cette course après la montre qui me donne l’impression de tout sacrifié.
Moi j’ai fini par m’assumer imparfaite, à ne plus remplir toutes les cases attendues mais voilà, ça génère de l’incompréhension et un certain manque de soutien. Et ça, ça fait un peu mal…
Désolée pour les propos assez décousus: nuit confettis accompagnée d’une insomnie, ça n’aide pas toujours à être claire.
Des bisous Céline, merci merci merci de ces partages à coeur ouvert: ils réconfortent un peu.
Merci pour tes mots, je n’ai pas (encore) d’enfant, mais que j’aime te lire, tes mots sonnent justes. Et ce que j’aime aussi beaucoup, c’est lire les commentaires dessous.
Continue de nous écrire, c’est beau, c’est bon, c’est vibrant !
Alix
Les bons conseils d’autrui, en effet, qui font plus de mal que de bien… On se sent épuisée, tiraillée, et on découvre dans la bouche de quelqu’un une bonne dose de préjugés. Le machisme est encore pire quand il est assimilé dans le discours des autres femmes. J’ai rarement entendu parler d’hommes qui se demandent comment tout concilier, vie familiale, travail, vie de couple, maison. Ou plutôt, si, ça commence, un peu. Au collègue jeune papa qui revient crevé parce qu’il a dû garder le petit et gérer la maison, je dis bravo et merci. On vit la même chose. Partageons-la ! Au fond elle est comique cette injonction : sois moins perfectionniste. Et pourquoi pas : Allez, fais un effort, détends-toi ! Heu… Aux gens qui ont trop de tout, si on portait juste une oreille attentive, une simple formule : « Dis donc, ça a l’air compliqué de tout concilier, non ? » et qu’on les laissait parler, ce serait meilleur pour tout le monde. Mais j’y vais de mon conseil moi aussi et de mes préjugés, là, non? ! 🙂 alors je me tais !
C’est drôle, parce que ta réflexion me parle beaucoup, alors que je ne crois pas que ce conseil m’ait jamais été adressé. Je dois être trop vieille, ou avoir trop d’enfants. Ou bien je ne partage pas assez mes difficultés pour qu’on ait envie de me donner des conseils, en partie parce que j’ai bien intégré cette remarque / injonction : « Tu les as voulus, tu les assumes », qui à mon avis n’est pas tout à fait étrangère à la pression que se mettent les parents, et les mères en particulier.
Mais je m’égare.
Il me semble (c’est en tout cas comme ça que je l’ai vécu) que lâcher prise ce n’est pas accepter de faire moins (surtout qu’on n’en fait pas toujours des tonnes, comme tu dis si bien), mais plutôt ne pas se laisser manger par la frustration de ne pas faire / être aussi bien que le modèle qu’on a en tête (qui est souvent hors d’atteinte car parfait). Savoir se dire : ok ma maison est sale / en bazar, mon enfant ne mange pas assez de légumes, ses habits ne vont pas ensemble, j’ai pas le courage de me maquiller pour aller acheter le pain (et chacune peut compléter la liste), mais je décide que ce n’est pas ça qui m’empêchera d’être heureuse.
Un long chemin ! (Mais très libérateur)
J’ai hâte de lire la suite !
Bonjour Céline,
Merci pour ton témoignage sur ces préoccupations bien naturelles en fait!
Eh oui, c’est pas le tout de ramener des sous à la maison…si personne ne sait comment les utiliser, les prioriser (nourriture/ sortie/ éducation…)!
En fait, nos ailleules des siècles derniers ne se posaient sans doute pas autant de question, puisqu’elles étaient entièrement dévolues à ce que l’on nomme froidement l' »intendance ».
Mais l’intendance, c’est avant tout choisir comment on organise son mode de vie, à quoi on emploie son temps…
Alors aujourd’hui, le dilemne est de conserver cette volonté de choix (ce qui évite d’être un mouton passif qui suit le troupeau, même si celui-ci court droit dans le ravin: malbouffe, horaires très variables, multitasking, surdoses d’écrans…) tout en travaillant, n’est-ce pas?
au plaisir de lire la suite
J essaye de ne pas donner de conseils mais je n y arrive pas! Pourtant je déteste en recevoir! Ça oblige à écouter les autres et je n y arrive pas bien. C est plus facile de donner un conseil que d écouter. Je vais travailler sur ça.
Merci de ce témoignage.
Je n ai qu’ un mot : MERCI …
J ai 3 enfants , je bosse à temps plein et mon mari a une maladie neurologique dégénérative .
J ai l impression régulièrement de sombrer tant je suis débordée . Par le quotidien , par mes émotions , par le manque de temps . Merci pour ces mots si justes et sincères . Qui déculpabilisent.