Les mots ailés

Céline Gabaret

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Voler un livre

L’autre jour, je lisais un court sujet qui faisait le point sur les vols de livres, leurs statistiques, et leur histoire. Je trouvais ça très intéressant. Parce que, à première vue, il s’agit d’un vol comme un autre. Pourtant il a bien un statut à part, sinon on verrait fleurir des brèves sur le vol de spaghetti ou de poignées de porte. Le vol littéraire est différent, étrangement différent.

J’ai trouvé ça assez fou lorsque j’en ai parlé autour de moi : pour certains, le vol de livres est une hérésie, une monstruosité, une atteinte à la culture et à l’intelligence qui pourrait mettre à mal la sagesse de toute une civilisation. J’exagère à peine, et je conçois qu’on s’en offusque, parce que je suis loin d’accorder aux livres une valeur négligeable. Un livre est un bijou ; voler un livre de poche, c’est dérober un rubis, ou un lingot, et j’imagine volontiers un fourgon qui viendrait dévaliser une librairie avec des armes comme on braquerait une banque.

Et dans le même temps, je comprends le côté assez fascinant de ce vol. D’ailleurs, piquer un livre, ce n’est pas vraiment un vol. C’est une autre histoire, parce que le livre ne devrait faire l’objet d’aucun commerce, il est marchandise à part, produit sans publicité, sans code barre, sans prix, il est voyage de l’esprit. Certains ne volent absolument rien, dans leur vie, mais ont déjà goûté à la fièvre du kleptomane derrière une étagère d’une grande librairie. C’est un délit de culture, une sorte de pulsion : il y a quelque chose de charnel là-dedans, un élan irrépressible vers l’évasion. La main sous le manteau, ils apaisent toute une fureur de vivre, ils nient l’essentiel de la société (parce que la consommation et la monnaie sont une forme de fondement social, autant se l’avouer), et le dépassent. Puis ils sortent dans la rue en pressant leur Folio contre leur coeur, sans se retourner.

Moi j’ai déjà volé des livres. Je veux bien renouveler l’expérience, parce que j’aime ce genre de sensations fortes. Je trouve ce vertige-là très séduisant. Je ne dis pas que ce méfait est moins grave qu’un autre parce qu’il est lié à l’intellect, ce serait bien présomptueux d’imaginer qu’un délit est pardonnable s’il est accompli dans les cordes de la connaissance. Cela signifierait qu’on peut tout faire si c’est rangé dans la case culture, et que voler un Marivaux n’est pas voler, eh, restons sérieux, bien sûr que c’est voler, tout de même.

Mais je trouve raisonnablement curieux (ou curieusement raisonnable) que la valeur financière du livre reste suspendue dans la plupart des esprits. Vous savez, les dépenses que l’on fait pour des livres ne sont jamais des dépenses comme les autres, elles sont à part, on se dit toujours qu’elles sont utiles, pardonnables. On sort notre carte bleue pour elles avec dans la tête la vague idée d’un jocker, temps mort, atout hors du jeu, cette dépense-là, c’est différent. Cette conviction danse dans l’inconscient général, et elle est belle de son irrégularité.

J’aime profondément chacun de mes livres, et plus largement, chacun des livres qu’il existe sur la terre, et je suis donc mi-amusée, mi-émerveillée qu’il flotte autour de ces objets des auréoles un peu curieuses. Et je suis amusée par l’idée selon laquelle le rapt d’un livre est un acte fou, qui n’a rien à voir avec un petit vol à l’étalage, mais qui a des affinités avec un voyage sans billet, une folie sociale sagement provocatrice, un vrai-faux délit au croisement entre l’impardonnable et le sacré.

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Harry et moi

HarryPotter-1

Je me souviens très précisément du jour où j’ai lu le tout premier Harry Potter.

Enfin, je ne me souviens pas exactement du jour du calendrier, mais je me souviens de l’atmosphère qu’il y avait autour de cette lecture, je revois mon sac à dos de cinquième, mes vêtements de l’époque (dont je n’ai aucune photo non vraiment n’insistez pas), je me revois tenir le livre et l’emmener un peu partout. Je me rappelle qu’il m’avait été conseillé par une jeune libraire qui m’aimait bien et que j’admirais beaucoup. (Elle était brune et souriante, elle avait un piercing à la narine, elle me prêtait des livres et mangeait des Snickers. Je suppose que cette présentation est à peine exhaustive.) Je l’entends encore m’expliquer l’histoire du garçon à lunettes, et surtout de la voie 9 3/4, et insister, parce que cela me laissait un peu circonspecte, du haut de mes 11 ans, cette histoire de garçon qui rentre dans un mur et « ah ah ah il y a quelque chose derrière », bien que cela semble lui plaire au plus haut point. Ce petit Folio, je l’avais lu, parce que je lisais à l’époque à peu près tous les livres qui me tombaient sous la main sans qu’il y eût besoin de me les conseiller, alors, si jamais l’un venait à être objet de lecture encouragée, vous pensez bien qu’il en devenait doublement adopté. À l’époque, je vivais encore mille fois plus dans mes livres que maintenant. Quand j’y pense, je crois même qu’il s’agit de l’âge d’or de la relation que j’ai pu entretenir avec les livres en général, à la fois totalement passionnée, et apaisée, sans aucune ombre. Bref, évidemment, j’étais tombée dans le chaudron tête la première, et j’avais lu les tomes 2 et 3 les années suivantes, parfumant à jamais, et sans le savoir, mes années collège à grands traits de Harry Potter.

C’est à partir du tome 4 que ça a commencé à friser la folie.

Le 4, La coupe de feu, je l’avais reçu à Noël 2000, j’étais en seconde, et j’avais 14 ans comme Harry. J’avais occupé toute la semaine qui avait suivi à le lire, en écoutant le même CD en boucle. (Je suis définitivement mono-maniaque). Je me souviens même que lorsque Dumbledore avait sorti le nom de Harry de la coupe, c’était tard dans la nuit, j’avais posé le livre, je m’étais levée, et j’avais résumé ce qui se passait en chuchotant, comme si la folie de l’événement était dans ma vie à moi. (Sinon, je vais très bien, que personne ne s’affole.) Et puis, ce 5, la mort de vous-savez-qui, enfin, pas Vous-savez-qui, mais vous-savez-qui (vous suivez?), un de mes plus grands chagrins littéraires. Là, mes frères et soeurs devenaient aussi mordus que moi, mes amis aussi, il devenait impensable à quiconque de notre génération de ne pas connaître le mot moldu ; les films commençaient à sortir, achevant de consolider l’hégémonie enthousiaste du garçon-qui-a-survécu.

Aux tomes 6 et 7, j’avais d’ores et déjà perdu le sens commun.

Le 6 est sorti en 2004 en France dans sa version originale, et en 2005 en traduction. Je l’avais d’abord lu en anglais, et  j’étais très triste de ne pouvoir en parler avec personne, alors j’avais décidé de tout traduire à ma petite soeur. (« friser la folie », elle a dit). Je ne vous raconte pas combien d’heures on a dû y passer, je ne me souviens plus, je me souviens juste que c’était formidable. Amis parents, si vous voulez unir une fratrie : demandez à l’aînée de traduire à voix haute un roman de 600 pages pendant tout un été, c’est une bonne méthode.  Je l’avais relu en français l’année suivante, en bonne fanatique totalement maboule.

J’étais allée me procurer le 7 en anglais le jour de sa sortie, le 21 juillet 2007 (c’est fou comme le temps passe), mais j’étais déjà triste avant de le lire, parce que je savais que c’était la fin d’une époque. Je l’ai dévoré, comme tout le monde, j’ai compté les morts, j’ai eu la tête qui tournait d’avaler les pages pendant la bataille finale, et puis j’ai lu ce fameux épilogue, trouvant dans celui-ci une satisfaction à la fois pleine d’approbation et de tendresse. J’avais 21 ans, et je pouvais refermer la couverture sur une décennie, laissant à l’avenir le choix des oeuvres qui habilleraient mes futurs.

Je crois que je ne me suis pas demandé si la fin (pas plus que n’importe quelle action) était « bien » ou non, au sens narratoriel, tel personnage pas assez creusé ou trop, tel dialogue insatisfaisant, et au fond, c’est peut-être le secret de cet amour durable. Les Harry Potter, je ne les ai jamais lus en critique. Je les ai lus en petite fille. En avalant chapitre après chapitre, un peu trop vite, et sans rien chercher en profondeur. Aujourd’hui encore, je les parcours souvent, avec au fond du coeur la vraie affection que l’on a pour une maison d’enfance. Les pages sont abimées, les tranches très marquées, les titres de chapitres sont des refrains familiers. Je me suis fait plaisir en trouvant certains tomes en anglais, italien, latin, en grec ancien, même. J’ai alors toujours eu l’impression un peu curieuse qu’une version adulte de moi-même tentait de rendre hommage à la version enfant.

J’ai aimé les films, mais jamais autant que cette atmosphère si riche et si réconfortante qui habite les livres. J’ai adoré l’Exposition de la Cité du Cinéma à Paris, et en règle générale, je trouve chouettes les petits objets qui se vendent et qui sont liés à Harry. Pour autant, ils ne me fascinent pas réellement. La vraie fascination s’exerce clairement lorsque je revois les vieilles couvertures, ou lorsque je lis quelques chapitres au hasard, qui me rappellent totalement, selon les tomes, une période précise de mon passé.

Une madeleine avec un éclair sur la bosse.


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