Les mots ailés

Céline Gabaret

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Il faut qu’on croie que c’est facile

L’autre jour je regardais une vidéo d’une danseuse qui enchaînait les pirouettes en silence. Elle les faisait très tranquillement, en tours fouettés, je ne sais pas combien il y en avait parce qu’après dix j’ai arrêté de compter. C’était très beau, et surtout : ça avait l’air tellement simple.  C’est là que j’ai pensé à cette phrase que disait souvent la prof de danse, « il faut qu’on croie que c’est facile »,  moi j’y pense surtout quand je joue du piano, et aussi quand j’écris évidemment.

Elle est parfaite, cette phrase. Et plus le temps passe, plus je me dis qu’elle concerne absolument tout. N’importe quel artiste sait qu’il faut rendre le geste fluide, assuré, presque accompli sans effort ; il faut que le spectateur n’imagine pas les doutes que cache l’oeuvre, les hésitations, les endroits repris, raturés, les prises refaites mille fois, les détails dont l’auteur reste à jamais insatisfait. C’est délicieux, c’est vrai, de recevoir une oeuvre en ayant l’impression que celui ou celle qui la donne est en mode « I woke up like this ». 

Comme si tout objet artistique n’était pleinement beau qu’à la condition d’être aérien. Devant la vidéo de la danseuse, je ne crois pas que je voulais oublier le travail accompli, ce n’était pas la question, tout le monde sait bien qu’il y a du travail derrière un résultat. Mais je cherchais ce qu’on cherche tous, cette forme de maîtrise à l’instant T, d’une apparente aisance qui confine au détachement. 

Et c’est ce même détachement qui est tellement souhaité, tellement valorisé partout. Il faut qu’on croie que c’est facile, mais quoi ? Tout ! Le fait d’être d’adulte, le travail, les histoires d’amour, les enfants qu’on a, ou ceux qu’on n’a pas, les amis qui partent, les choix à faire, les ans qui passent, la clameur des projets qui aboutissent et le frémissement des plans qui s’écroulent. Alors qu’il n’y a pas besoin d’aller très loin pour savoir que précisément, rien n’est facile pour personne. 

Alors avant que vous ne réfléchissiez à l’endroit de votre corps où vous pourriez vous faire tatouer la phrase « il faut qu’on croie que c’est facile », j’avais juste envie de rendre hommage à nos errances et nos gestes ratés, nos impressions d’échec, pas en-dehors des temps, nos phrases maladroites, nos entreprises inachevées et nos photos mal cadrées. Ils et elles sont la preuve que pour l’humain rien n’est aisé, qu’il faut décidément tout travailler, et que, dans nos petites et nos grandes indulgences, il y a peut-être une jolie douceur cachée.

De clartés et de liens

Ma fille n’aime pas les chats. Elle les montre du doigt, puis elle dit qu’elle a peur avec une main sur le coeur, dans un élan de lucidité et de franchise dont seuls les enfants ont le secret. Je pense souvent à toutes nos peurs cachées. Les miennes, et celles des gens que je rencontre. J’ai une tendresse particulière pour les craintes qui se dessinent dans les profondeurs de l’autre, les îles englouties dont on devine les contours. C’est fou, vous avez remarqué, tout ce que nous craignons, ce magma qui demeure informe s’il n’est pas démêlé par les mots, ce tas de cailloux qui reste dans la nuit s’il n’est pas éclairé par tout le courage de la conscience. Je m’émerveille de ce que ces peurs varient tant, d’un humain à l’autre, et du fait qu’il soit si difficile de les mettre au jour. Et je crois que le monde est bien fait, puisque nous sommes tous plus habiles à rassurer les autres que nous ne le sommes à nous rassurer nous-mêmes. Il en va de la peur comme de ces casse-têtes qui paraissent toujours plus simples à ceux qui les découvrent qu’à ceux qui y travaillent depuis longtemps. Je me demande d’ailleurs s’il y a au monde chose plus belle à faire que d’essayer de prendre les casse-têtes des autres, les démêler, et les remettre dans leurs mains. 

La fin de l’été peut toujours venir. Je vous souhaite d’avoir plein de peurs à nommer, et plein de cœurs à rassurer.